Russell ne savait pas trop quoi penser de son nouveau compagnon de travail. Il lui avait d’abord apparut comme étant quelqu’un de sérieux et d’appliqué, mais en y repensant bien, il ne pouvait s’empêcher de trouver qu’il était un brin trop centré sur lui-même. Ou plutôt, qu’il n’était pas du genre à faire de travail en équipe, mais plutôt seul. Sauf que sur son point, il avait largement réussit à s’occuper du fait que l’autre travaille avec lui, n’est-ce pas? Parce que maintenant, ce n’était plus qu’une question de remettre un papier et d’avoir une bonne note ou non, mais plutôt de s’assurer que l’humiliation publique que serait leur travail oral ne soit pas… trop humiliante, quoi. Et lui-même regrettait déjà son plan de fou : parce qu’il n’aimait pas trop faire des travaux devant publique –bon, c’était pas totalement le cas, mais un théâtre de marionnettes, c’était quand même quelque chose. Aussi, il détestait se prendre la tête avec les autres, et on ne pouvait pas vraiment dire qu’ils s’étaient laissés en bon terme, dix minutes plus tôt : la vision de l’autre qui quittait la classe quelques secondes avant la sonnerie le hantait quelque peu. C’était peut-être parce qu’il avait osé finir son eau? Sauf qu’en même temps, il n’avait pas aimé la manière que l’autre avait d’utiliser sa bouteille comme excuse pour ne pas sembler lui accorder plus d’importance qu’il ne le fallait, et ce genre d’impolitesse le dépassait.

D’ailleurs, il se demanda sérieusement si l’autre avait oublié le fait qu’ils avaient tous deux leurs activités de clubs ensemble. Parce que vu comment il était partit, ça semblait vouloir dire me reparle plus crétin, et bon, quand même, ils n’étaient pas tant que ça dans leurs activités de club, et avec les sports d’équipe, ce serait bien vite la catastrophe si leur situation ne s’améliorait pas. Bon, il savait bien qu’il y en avait, des gens comme ça, qui se foutaient bien de l’entendement publique et des relations qu’ils avaient avec les autres, sauf que ce n’était pas le cas de Russell : il appréciait généralement être en bons termes avec les gens qu’il fréquentait, surtout lorsqu’il les voyait deux fois dans la même journée, si vous voyez ce que je veux dire.

Il avait toujours la possibilité de choisir de s’entraîner tout seul, sans participer aux activités de groupes, mais ça aurait quand même été dommage. Vous voyez; s’inscrire dans un club pour rester tout seul dans son coin, c’est un peu contradictoire, quand même, surtout lorsque que cela devient une habitude. Il soupira, trainant un peu des pieds dans le vestiaire alors qu’il changeait de tenue, troquant ses pantalons et sa veste contre des shorts bleu pâles et un chandail à manches courtes tout noir, songeant au fait qu’il devrait bientôt se couper les cheveux avant que l’on ne lui demande de les attacher; c’était le genre de chose qu’il remettait toujours à demain par lâcheté, mais il fallait avouer qu’ils étaient un peu trop longs, surtout à l’avant. Et puis, des cheveux dans les yeux, c’est pas chouette non plus, et ça pique.

Et puis, momentanément, prit d’une pulsion soudaine, il brisa un tabou presque inviolable : il déchira le silence des vestiaires pour engager une conversation avec quelqu’un d’autre. Et pas pour lui dire qu’il avait trouvé un magasine louche, en plus (c’était le genre de chose que l’on vous pardonnait plus facilement). Il se retourna vivement alors qu’il passait son chandail par-dessus sa tête –oui oui, en plus il avait l’audace de chercher à établir un contact visuel- et repéra Ziel pas très loin dans la pièce. C’était pas difficile, fallait dire : la plupart des autres n’avaient pas un cours dans un autre bloc, alors ils avaient déjà fini de se changer depuis un moment.

-Tu dors pas beaucoup, je me trompes? fit-il en se relevant, sortant ses souliers de course de son sac à dos.

C’était plus une manière détournée de faire ‘c’est moi qui t’emmerde ou on s’est juste rencontré dans des mauvaises circonstances?’. Quoique le deuxième cas n’empêchait pas le premier, non plus, mais ça lui redonnait des chances. Pourquoi est-ce qu’il en avait besoin, au juste, de cette chance? Il ne la voulait pas tant que ça, en fait, mais trouvait dommage de jeter l’éponge avant d’avoir réellement essayé d’apprendre à connaître celui qui se tenait devant lui.

-Je connais des zombies qui n’ont rien à envier à tes cernes, tu sais… tu ne devrais pas…

Il retint tout juste le petit discours moralisateur qu’il allait sortir, se disant que ce n’était vraiment pas le moment de glisser une telle chose; ça lui était simplement venu par réflexe. Il laissa un sourire timide se glisser sur ses lèvres, comme pour s’excuser, alors qu’il attachait solidement ses lacets. Il se redressa, cherchant à planter ses yeux dans ceux de Ziel. Et juste pour lui redonner un peu de courage, il lui semblait d’ici que ce dernier avait au moins tout un centimètre de moins que lui. C’est que ça ne lui arrivait pas si souvent que ça, d’être plus grand que les autres –enfin, moins depuis qu’il avait eu sa poussée de croissance, mais ça ne lui prend pas grand-chose pour retrouver courage. Et pour le perdre, d’ailleurs. Il porta sa main vers son visage pour frotter son oreille droite, presque mal à l’aise.

-Ce que je veux dire, c’est que si t’as un problème, t’as qu’à le dire, finit Russell avant de se saisir de son sac à dos pour sortir du vestiaire, assez tranquillement tout de même.

Oui, bon; ça sonnait mieux dans sa tête. Plutôt comme un ‘Je veux bien entendre parler de tes problèmes; il y a rien de mieux que la communication pour se sentir mieux chez soi’ et non pas comme ‘Dude, si t’as un problème avec moi, on règle ça dans le stationnement à trois heure!’. Sauf qu’en y pensant bien, un comme l’autre, il risquait de se prendre une vanne, vu le personnage qu’était Ziel; valait donc mieux en rester là.